Ça commence comme une histoire banale parce-qu'en vérité c'en est une. Une naissance banale dans une famille on ne peut plus ordinaire. Un père, une mère et une petite fille choyée et aimée. C'est peut-être toute cette banalité qui aura eu raison de la quiétude des Lee, qui sait ? Quand madame Lee en a eu marre de n'avoir rien de palpitant à raconter au téléphone à ses amies et de devoir faire un repas pour la famille comme une parfaite ménagère chaque soir. Très peu pour elle. Du haut de ses quarante-cinq ans, madame Lee s'est bien rendu compte d'une chose effrayante ; en faisant le bilan de sa vie rien de spécial ne s'y détachait. A 20 ans, au lieu de monter vers la capitale à la recherche de gloire et de paillettes elle avait décidé de rester vivre en province avec son petit ami prédestiné à devenir son mari. Et puis l'arrivée quelques mois plus tard d'une petite fille avait scellé son destin et détruit durablement ses rêves d'aventure et de reconnaissance. A trente ans passé ce n'était même plus la peine d'y songer dans un monde où la beauté est synonyme de jeunesse. C'est donc de manière logique que les espoirs brisés de la trentenaire se sont retrouvés affiliés à sa fille. Elle lui en avait voulu au départ. Les premières années passées à s'occuper d'une enfant avait été un calvaire pour la jeune maman ; être obligée de rester attaché gentiment à une famille trop ordinaire pour remplir ses obligations parentales et avoir une bonne conscience. Comprenez-là, il y avait de quoi enrager à observer la candeur, la jeunesse et les rêves de cette petite fille qui a été en partie responsable de son enchaînements à cette vie quelconque.

Le père dans tout ça ? C'était le genre d'homme un peu froid car trop maladroit avec les mots pour s'exprimer correctement. Employé dans une chaîne industrielle de cigarettes, payé correctement, bon père, bon mari, coréen moyen aspirant à une vie moyenne. Un peu  trop idiot, un peu trop aveugle, pour ne pas remarquer que sa femme aurait préféré être n'importe où que coincer ici. Un peu trop lâche pour oser demander à celle-ci de témoigner plus d'amour maternelle à leur fille. D'un autre côté on ne pourra jamais lui reprocher le fait de ne pas avoir essayé de faire de son mieux pour rendre sa famille heureuse. Mais malgré ses efforts le séparation des Lee n'a pas pu être empêchée. Ça a commencé lorsque Sunhee a atteint l'âge de dix ans. Il s'est passé un truc, un déclic, chez madame Lee. Ça devait être un jour, alors qu'elle était au supermarché, l'annonce d'un casting requérant une petite fille avait attiré son attention et ô miracle, la mère de foyer maussade qu'elle était retrouva sa flamme d'antan. Si elle n'avait pas pu briller, sa fille pourrait le faire à sa place. Ça a donc commencer par un petit casting anodin pour faire la promotion d'une marque de pansements puis ça a enchaîné sur des castings pour diverses marques de vêtements cheap. Et la petite dans tout ça, alors ? Elle y trouvait son compte ! Avoir une mère soudainement au petit soin c'était plus qu'agréable. Même lorsque les choses se sont accélérées et intensifiées des années plus tard, Sunhee n'a jamais rechigné à continuer son rôle de marionnette. A 14 ans quand elles se sont toutes les deux rendues compte que son profil fin et élancé pouvait lui permettre de tenter les agences mannequinas et bien... Madame Lee a vu les choses en encore plus grand en envisageant de déménager vers la capitale.  Chose contre laquelle était formellement opposé son mari. « C'est insensé et fou ! Et tes envies de gloire, de célébrité ont une mauvaise influence sur notre fille » avait-il dit. Il n'avait même pas tord. En quelques années et à force de s'entendre répéter par sa mère qu'elle est magnifique et destinée à briller Sunhee avait prit tendance à vraiment le croire. Malgré ses déceptions répétées lors de beaucoup de castings et les remarques acerbes qu'elle s'était prise en pleine tronche. Trop grosse, qu'à cela ne tienne ! La voilà démarrant un régime encouragé par sa mère pour entrer dans du 34, voire du 32 avec un peu chance. Pour ça elle utilisera même ses doigts au fond de la gorge, voyez-vous ? Le tout agrémenter par des coupe-faim immondes de toutes les saveurs et une bonne cure de vitamines en cachet concoctée par sa tendre génitrice. Trop banale, haha ! Première décoloration à 15 ans pour atteindre un blond peroxydé digne des It Girls californiennes. Pas assez vendeuse, c'est vrai qu'une fille accompagnée partout par sa mère ça ne fait pas rêver. Le seul moyen d'y remédier est de déménager sur la capitale pour se faire une place dans le gratin des nuitées coréennes. Goutte de trop pour la père qui ne veut pas suivre le reste de la famille dans cette aventure malsaine. Tant pis. Un divorce. Et un emménagement sur Séoul quelques mois après.  Avec toutes les nouvelles perspectives qu'offrait la capitale la petite starlette de province a perdu la tête. A seize ans la demoiselle s'est prise pour une adulte en sortant un peu trop le soir, en buvant un peu trop pour essayer d'égaler les grandes de ce monde et d'attirer l'attention sur ses -déjà- longues jambes dénudées.

2 janvier 2007 « Tout a peut-être commencé dans une cave enfumée avec de la sono pourrie, des murs jaune pisse et un canapé défoncé. J’étais assise, coincée entre deux types qui voulaient découvrir le territoire inconnu entre mes cuisses. Je regardais mes jambes, parce que je les adore. Elles sont minces. Elles rentrent dans mes jeans. Elles sont comme devraient être toutes les jambes. La musique était vraiment bizarre, j’avais mal au cœur. Après être allée vomir ma demi-chips, on m’a proposé une ligne et comme je suis polie, j’ai accepté. Souvent, j’ai l’impression d’être deux personnes différentes. Il y a Sunhee, vous voyez (tout le monde connaît quelqu’un comme moi dans son entourage, alors forcément, vous voyez), qui rit doucement, boit du champagne, embrasse un type, titube, finit avec un autre type et se fait ramasser en petits morceaux par sa meilleure pote à trois heures du matin pour retourner s’ennuyer dans sa grande chambre. Et puis il y a moi, et pour tout vous dire, je ne sais pas quoi dire dessus. Des fois, j’ai envie de me mettre à pleurer, comme ça, à cause des reflets dans une vitre ou des trucs dans le genre. C’est bizarre. Parfois, j’ai l’impression qu’on a tué la vraie moi à la naissance, qu’elle a subi un avortement volontaire, et qu’elle reste comme un poids dans mon ventre, comme un sale bébé mort-né. Et peut-être que si j’arrête de manger, peut-être que si je recrache tout ce que j’ai alors elle partira et je pourrais enfin respirer.

C’était juste une soirée comme une autre avant que je me laisse tomber par terre, et quand j’étais allongée et que les autres criaient que c’était sûrement un coma éthylique, quand je sentais mes entrailles devenir de la pierre, prêtes à exploser en plein de morceaux, quand j’ai senti que j’allais me scinder en un milliard d’éclats de verre, croyez moi, au fond, j'me suis dit que ce serait quand même vachement idiot de mourir anonymement. Je peux me rappeler que quelqu'un a appelé une ambulance et que la nuit était froide, et qu’à un moment je ne voyais vraiment plus rien. Mais c’est pas grave. C’est arrivé, c’est tout.

8 janvier 2007 « J’ai vraiment beaucoup aimé l’hôpital. D’une, parce que c’était blanc et que j'aime bien le blanc, de deux, parce qu'on m'a laissé sous sonde et interdit de manger, de trois, parce que j’étais tellement bourrée de drogues que je ne pouvais pas ne pas sourire comme une idiote. Dommage que qu’ils m’aient lâchée au bout de sept jours. On a eu plein de discussions, pendant cette courte semaine de ma vie où j’avais failli mourir et où soudainement tout le monde s’intéressait à moi. J’étais trop abrutie par les médocs pour faire autre chose qu’approuver quand on m’a raconté qu'il fallait que je prenne du poids. Papa voulait que j’aille habiter chez lui, parce que c’était mieux, un habitat stable, une vie saine, sans casting, sans régime, sans fête et sans pression. J’ai fondu en larmes.

Il ne voulait pas que je reste à Séoul, j’avais des mauvaises fréquentations et ma mère une trop mauvaise influence sur moi, bref. J’ai accepté. Au fond, je m’en foutais finalement de tout ces trucs de castings ou pas, d'école, de diplôme, de célébrité. C'était pas comme si on m'avait un jour donné le choix, hum. J'ai jamais aimé prendre des décisions, je préfère me reposer sur les autres. J’ai toujours été comme ça. Je changerai jamais. C’est d’un triste.

Avant de retourner de retourner à Ulsan, Kwan est venu me parler. Il s’est assis et il a eu son sourire bien connu, et je n’ai rien eu à ajouter. « C’est bien, ici ? », il m’a demandé, un peu pour rigoler, en jouant avec l’accoudoir repositionnable de sa chaise. « Dément, » j’ai répondu. « Ils m’offrent des repas à toutes les heures de la journée, ils s’énervent même pas si je les prends pas. Ils ont ces petites pilules bleues qui te donnent l’impression que tu vas bien. A pleurer. » Il a souri. J’ai senti que c’était le moment ou jamais pour rajouter quelque chose. « Je voulais te demander », j’ai dit, « si tu pensais qu’il y avait un sens à la vie ? » J’ai attendu qu’il éclate de rire. J'avoue c'était un peu too much et niais comme question mais j'étais d'humeur à me prendre pour Bella Swan. Il a juste regardé la fenêtre d’un air pensif. « Je ne sais pas, » il a dit au bout d’un moment. « Tu sais, Sun, je pense que c’est surtout une question de choix. Tu sais comment ça commence, tu sais par quoi ça finit. Entre temps, tu décides. » Ça m’allait. Je me suis appuyée sur mes oreillers. « Je recommence à manger à la rentrée. Pour te faire plaisir. » Il a souri.

J’ai revu Kwan l'hiver d’après. J’étais sortie de l’hôpital depuis longtemps, rentrée à Ulsan avec mon père et tout et tout. C’était deux jours avant le 14 mars, et j’avais encore dix sept ans. Il m’a laissé un message au beau milieu de la nuit qui disait en substance : « Je suis à Séoul, si tu veux on peut se voir. » Comme il était deux heures du matin et que personne n’était là, je l’ai rappelé et je suis sortie en pyjama. On est allés à McDonalds. Il m’a raconté des trucs à propos de mannequins hystériques et de paparazzis collants. C’était chouette. Il m’a regardé le regarder, et il a souri. J’ai souri. On a marché un peu. « Tu sais, après-demain, c’est mon anniversaire. Je vais avoir dix-huit ans. » « Ça, c’est cool, dis moi. Qu’est-ce que tu demandes ? » Je me suis appuyée à un mur. J’ai regardé trois taxis passer. Je portais sa veste sur ma chemise de nuit. J’ai commencé : « Oh, tu sais, la paix dans le monde, tout ça. Ne plus jamais avoir faim. Dormir. La célébrité. » « Rien que ça. » J’ai ouvert la bouche, puis j’ai ri. On s’est assis par terre. « Je retourne à Séoul dans un mois, j'vais reprendre tout du début et rejoindre ma mère. » « tu fais ta tiger lily ? », il a demandé d’un air ingénu. Il me faisait rire. Mince, je riais vraiment pour rien. J’avais soudain très très chaud et il a commencé à pleuvoir, alors il m’a ramenée à la maison. Il est monté une minute puis il est reparti. »

Il y a eu le chapitre Velvet Dust qui s'est ouvert inopinément quelques semaines après le ré-emménagement de la cadette des Lee sur Séoul. Comme si rien ne s'était passé la routine quotidienne à repris pour le plus grand plaisir de sa mère. Jusqu'à viser le magazine numéro un en Asie et c'est, quasi-naturellement, que notre fausse blonde a été refusé en tant que mannequin officielle pour le magazine, faute d'expérience et de réputation, parait-il. Par on ne sait quel miracle on lui a quand même proposé un poste de stagiaire – ou plutôt de larbin. Même si sa mère la supplie toutes les semaines de quitter ce poste dégradant ou au moins de tenter une promotion canapé. Car il y a un truc intéressant à Velvet Dust, autre que les fringues dans la réserve et ses deux bestah, un p'tit truc qui s'appelle Léo et qui est arrivé dans sa vie inopinément. Ça n'a pas été le coup de foudre au premier regard mais faut tout de même avouer que Sunhee s'est laissée approcher beaucoup plus facilement que d'habitude. Destin ou simple chance ? A voir !