STREET LIFE. Gamin abandonné, moi ? Loin de là. Mais le fait est que je suis issu d’une famille pauvre et plutôt nombreuse. On se serrait toujours la ceinture, ployant devant la radinerie de la daronne, et les frasques sont très vite devenues un moyen de pallier les frustrations quotidiennes. Se remplir les poches dans une boutique sans se faire prendre, jouer les pickpocket en pleine rue au risque de déclencher un esclandre, piller les distributeurs automatiques pendant que d’autres membres du groupe montaient la garde puis fuir à toutes jambes sous les hurlements furieux des propriétaires… les courses-poursuites rythmaient notre vie à l’époque. Nana, Jae Mee, Shin, Minki, Hyo Dae – c’était une évidence, au point que j’ai longtemps pensé qu’on était les rois du monde. Plus malins que les adultes, plus forts que la loi, jusqu’à ce que la réalité finisse par nous rattraper.

CLOSER TO THE EDGE. On s’est retrouvés très tôt aux mains des keufs. Enfin, d’un en particulier. Heureusement pour nous il se prenait pour un père de substitution et refusait de nous monter un dossier ; pour lui on était des gosses ayant besoin d’une réelle structure pour bien tourner, et nous condamner dès l’enfance ne nous aiderait pas. Lorsqu’il nous croisait à flâner en plein jours d’école, pendant son service, il nous faisait faire demi-tour et roulait au ralenti à côté de nous pour nous escorter jusqu’aux grilles, tout en nous bassinant de questions à la vous avez fait vos devoirs ? Avant de nous faire raper sur nos formules de maths. Plutôt cool pour un vieux hein ? Mais il était bien le seul à fonctionner suivant cette philosophie et en parallèle, nous, on se coltinait le reste du monde et les « vous n’avez pas d’avenir, c’est couru d’avance » exprimés à toutes les sauces. On n’avait pas de mauvaises intentions à la base ; on agissait un peu pour l’adrénaline, un peu pour avoir droit à ce qu’avaient les autres gamins de notre âge. Mais les petits crimes entraînent toujours de plus gros délits.

TAKE A GUN. On a rejoint UDZ entre nos 13 et 14 ans. Urban Damagerz, c’était un putain de rêve qui devenait réalité, une incroyable aubaine que de se faire repérer par ce groupe, dont la « street crédibility » était à son paroxysme. Nos débuts ont été une succession de bizutages et de défis lancés par les aînés, sans qu’on ne voie jamais les visages de nos bourreaux. Une fois jugés à la hauteur, on a été introduit auprès des membres du groupe, pour se retrouver relégués au rang d'apprentis, ou plus précisément de larbins (à croire que ce statut nous colle à la peau), pendant plus d'un an. Il fallait être prêt à tout pour UDZ, on l’a appris à la dure jusqu'à obtenir enfin notre statut de membres, à nos quatorze ans. C'était tout un mode de vie, des priorités à refixer et... surtout, des plans foireux à encaisser sans un mot. Une famille? Pas vraiment, non; UDZ s'apparentait plutôt à un groupe de délinquants liés les uns aux autres par les arts de rues et les contrats louches, une loi du silence incontournable et des lynchages peu enviables en cas de traitrise. Les membres n'étaient pas des enfants de cœur : en témoignent les bastons en règle pour un simple regard de travers, ou infligées à des membres de gangs ennemis supposés avoir empiété sur notre ter-ter ; sans parler des actes de vandalisme, des détériorations de bâtiments officiels pour narguer les autorités. Le tout encadré d'une main de fer par un duo de leaders tarés pour qui respect rimait avec crainte, et auxquels le temps et le succès faisaient perdre la tête. Leurs magouilles autrement plus risquées finissaient systématiquement par éclabousser le reste du groupe : très vite, on a été mandatés pour gérer des boulots orchestrés par la mafia. Faire des livraisons à des clients en faisant semblant de ne pas savoir qu’il s’agissait de drogue puis, comme les années nous étoffaient, accompagner les gros bras qui réclamaient l’argent aux mauvais payeurs, voir comment ils s’y prenaient pour mettre la pression aux endettés. Le paternel s’arracherait les cheveux s’il comprenait à quoi nous a servi la pratique du Han Mu Do ou apprenait que notre « boulot » implique trop souvent l’utilisation d’armes… On est passés de simples collaborateurs à membres, et tout ça aurait probablement été gérable si on n’avait pas dû s’en prendre à un Mac revanchard. Ilang de son nom, tantôt concurrent tantôt collaborateur de la mafia. L’une de nos missions avait entravé l’un de ses plans et lui avait fait perdre gros – c’est à cet instant qu’il a commencé à s’intéresser à notre trio, sans qu’on le sache. Il est passé à l’action à l’occasion d’une partie de Poker qui dégénérait, en s’improvisant sauveur avant de nous mettre sous le nez ce qu’il considérait comme une double dette. Le seul moyen pour nous de nous en tirer plus ou moins intacts ? Bosser pour lui. Gérer les transports ou la protection de ses prostituées.

TEDDY. Un prénom qui me reste gravé dans la chair autant que dans l’âme. Une petite-amie de passage qui n’aurait pas dû me marquer plus qu’une autre. Ça aurait été le cas si elle n’avait posé un couffin devant ma porte, à l’intérieur duquel gigotait un marmot geignard et avec pour seule indication un prénom : Hae Ri. On a tous cru au départ que c’était celui de Minki, ce qui ne nous a pas épargné la colère de la matrone. Mais il s’est avéré que le gamin était de moi. En moins de 24h j’ai appris ma paternité, tenté de retrouver la mère, su que ses parents l’avaient reniée et jeté à la rue, puis qu’elle s’était suicidée. Coup de massue. Evidemment que cette histoire me hante… la culpabilité me taraude encore aujourd’hui et voir au quotidien les traits de Harry, si similaires à ceux de sa mère, est affreusement déstabilisant.

9 CRIMES. J’aurais pu m’assagir, après tout ça. Mais avec un mode de vie comme le mien, ce n’était pas franchement une option. Quand Nana s’est fait enlever par notre faute, il y a trois mois, aucun de nous n’a été capable de se résoudre à la lui laisser. J’ai marchandé… et commis une énième horreur en vendant sa meilleure amie pour acheter la liberté de ma sœur. Jae Mee… on a grandi ensemble et, c’est bête à dire, mais mon cœur se serre quand je pense à elle. J’ai trahi sa confiance de la pire des façons, avant de lui promettre qu’on la récupérerait… sans le penser le moins du monde. Parce que je ne vois pas de solution. Des moyens de la récupérer ? ça oui, mon cerveau enfiévré ne cesse d’en imaginer. De chercher comment contourner les obstacles. Le problème, c’est l’après. Ce sont les conséquences, les représailles.

BEEATHE. l’art de rue incluant les fresques murales ou trompe l’œil, les tags, les graffitis.. mon exutoire. J’ai beau chigner pour une égratignure, avouer que je vais vraiment mal me semble nettement plus compliqué. Au lieu de parler, j’ai d’abord besoin de me tirer sans un mot avec mon sac rempli de bombes, de marqueurs, mes gants en poche, une casquette vissée sur la tête, pour redécorer le bitume ou les murs de la ville. Aussi simple que ça. Les effluves de peinture, l'œuvre qui prend forme peu à peu, l'esprit libre de se livrer à sa créativité en occultant toutes pensées parasites, la pointe d'adrénaline à la pensée que des flics pourraient débarquer d'une seconde à l'autre et me prendre en chasse – pas besoin de plus pour évacuer les émotions négatives. Enfin… si. Aucune thérapie n’est efficace si, à terme, je ne me traine pas jusqu’à Mikki et KimShim.