Tu poses tes doigts fins sur la photographie fanée et quelque peu vieilli que tu viens de redécouvrir dans ton petit carnet noir. Un sourire éphémère barre tes lèvres un court instant tandis qu'une perle salée se fraie un passage sur la peau lisse et blanche de ta joue. Tes petits yeux bruns se fixent à ce petit bout de souvenir qui te fait tant d'effet. Le coin supérieur droit de ta bouche se relève en un petit sourire amusé révélant quelques parts dans la soie blanche de ton visage une petite fossette, pli de soie sur un visage pur et blanc. Tu papillonnes des yeux l'espace de quelques secondes pour faire tomber les quelques perles salées accrochées à tes long cils puis tu passes rapidement ta manche sur tes joues effaçant toute trace d'une quelconque tristesse. Tu secoues la tête puis ferme le carnet, emprisonnant le souvenir dans cette prison de papier. Tu te redresse et range tranquillement ton carnet dans un coin sûr de ta chambre. Tu ne voudrais pas que ta sœur le trouve, elle serait capable de détruire ta vie et de laisser s'envoler tous tes secrets. Puis doucement, tu fermes la porte de ta chambre, laissant ainsi le souvenir s'effacer peu à peu. Tu te dois d'avancer.

Shi Na a grandi dans une famille banale, un père, une mère un grand frère et une petite sœur. Elle n'était ni l’aînée, ni la benjamine de la maison, aussi s'effaçait-elle toujours derrière son frère ou sa sœur. Après tout elle n'avait pas le caractère des autres membres de la fratrie. Plus douce, plus effacée, elle préférait de loin être à l'arrière scène, voir les coulisses que de tenir le premier rôle. Son petit sourire timide et son physique de jeune fille ne l'a rendait pas non plus des plus attirantes. En somme elle ne jouait pas sur sa beauté naturelle pour obtenir ce qu'elle voulait. Elle avait toujours compté sur son intelligence et c'était cela qui ressortait le plus chez elle. Première de sa classe, elle faisait toujours partie du top cinq de l'école, s'efforçant d'être une enfant exemplaire. Enfin, surtout pour que son frère soit fière d'elle. C'était tout ce qui lui importait.

Plus proche de son père que de sa mère, la mort de celui-ci la bouleversa au plus haut point. C'est aussi à cause de cet incident dans sa vie qu'elle reste une personne renfermé sur elle-même. Elle avait compris à ce moment-là qu'une des personnes qui comptait le plus pour elle était partie pour toujours et que dans la lignée des morts précoces, son frère était le prochain. Et ça, elle ne l'acceptait pas. Quelques années après cet événement elle se rendait au salon de tatouage pour une première œuvre d'art sur la toile blanche qu'était sa peau, un flot positionné sur sa nuque avec inscrit en dessous les mots « Until the end. » Elle avait souffert lors de la réalisation du tatouage étant une jeune femme assez sensible, mais elle ne regrettait en rien de l'avoir fait. Elle avait serré les dents et laissé passer la tempête... Elle l'avait fait de son plein grès lors de ses 16 ans, cependant personne à part elle n'était au courant pour son tatouage, et cela rendait la signification de l'oeuvre encore plus précieuse pour elle.

Tes yeux sont fermés, ta tête basculée en arrière, ton visage face aux étoiles tandis que tu écartes tes doigts dans le vide. Tes bras se séparent doucement de ton corps fin alors que la pluie vient caresser ton corps. Tes lèvres sont étirées en un fin sourire, pourtant tu n'es pas heureuse. Tu n'arrives pas à l'être. Sur ton visage innocent est apparu quelques ridules marquant un peu plus les traits de ton visage de poupée. Mais ça ne change rien à ta figure d'ange. Tu es toujours la petite Shi Na que tout le monde connaît. Toujours aussi douce. Toujours aussi enfantine. Pourtant les choses ont changés maintenant. Tu sais parfaitement que ton père ne reviendra pas, que ta mère ne se souciera pas plus de toi, que ta sœur ne sera pas plus douce avec toi et que ton frère est condamné. Pourtant tu souris. Un sourire crispé qui te tire la peau comme si elle allait se mettre à s'enflammer. Elle se crispe. Les muscles de ton corps se froissent un à un comme du papier balayé par le vent. Pourtant tu souris. La pluie se transforme doucement en tempête. Les gouttes martèlent ton visage et torture ton corps comme si des millions de petites épines s'enfonçait dans ton épiderme. Le vent s'engouffre dans ton cou cherchant les failles pour te rendre vulnérable. Le froid te mord les jambes, comme un loup face à sa proie. Et toi tu souris. Tu souris parce qu'à quoi bon pleurer ? Tu le fait déjà assez souvent dans tes couvertures, seule, le soir, sans personne à qui te confier. Il y aurait bien ton frère à qui tu confierais ta vie sans hésitation, mais tu vois bien qu'il a bien d’autres problèmes plus graves, en commençant par sa maladie. Tu ne veux pas l’embarrasser avec ton mal-être. Aussi tu te tais et tu souris. Tu te dis que la vie deviendras meilleure, tu en es persuadée. La sonnerie de ton téléphone retentit soudain, tu ouvres les yeux et cherche frénétiquement dans tes poches détrempées. Tu jettes un coup d’œil à l'écran et vois apparaître sur l'écran le surnom de la personne à laquelle tu tiens le plus. « Oppa.. » Tes lèvres bleuies par le froid se séparent tandis qu'un petit « Yong Shin oppa.. » s'échappe de ta bouche. Tu cherches rapidement un abri et finis par rentrer dans une boutique. Heureusement tu n'es pas en uniforme scolaire, tu aurais eu trop peur de l’abîmer. Tu décroches le téléphone avec un sourire. « Tout vas bien de mon côté oppa. J'espère que c'est pareil pour toi... ? Prend soin de toi s'il te plaît. »

Shi Na était une élève attentive. On ne la remarquait pas en cours, elle préférait se taire et écouter plutôt que de faire entendre sa voix, ce qui ne lui empêchait en aucun cas de faire partit des meilleures. Depuis quelques années maintenant elle apprenait l'anglais avec beaucoup d'assiduité, un de ses rêves étant de partir étudier à l'étranger. Elle devait faire partie des meilleures pour pouvoir obtenir une bourse et peut-être partir à l'étranger, pourquoi pas l’Australie ? Ou les États-Unis ? Elle en rêvait... Cependant elle s'interdisait d'y penser. Partir à l'étranger signifiait laisser son frère, et ça c'était hors de question. Pourtant elle continuait d'apprendre l'anglais avec dévouement grâce à l'aide de son frère, son mentor. Elle sait pertinemment que c'est grâce à lui qu'elle peut se permettre d'aller dans un lycée de très bonne qualité. Elle savait aussi que cela devait coûter très cher et que son frère devait travailler dur pour leur permettre une telle éducation. Mais au début elle ne s'en souciait pas. Cependant depuis peu elle se doute de quelque chose. Elle avait réussi à voir le tatouage dans le dos de son frère, et cela ne trompait personne. De plus beaucoup de détails trahissaient ses hypothèses. Il possédait des habits très élégants, dans le style costume noir. Il lui arrivait de travailler très tard le soir, ou n'importe quand dans la journée d'ailleurs. Il revenait parfois avec des bleues et autres blessures dont il esquivait l'origine. Et puis... L'argent ne tombait pas du ciel. Cependant Shi Na ne pouvait y croire. Son frère était trop dévoué et gentil pour salir son éthique dans des affaires sombres non... ?

Tes doigts effleurent les touches blanches du piano avec délices. Tu t'apprêtes à entrer dans la danse, à valser avec le diable. Un frisson d'appréhension te parcourt tandis que tes yeux pétillent d'envie. Tu es déchirée de l'intérieur entre l'envie et la peur. Ce terrible équilibre qui allait finir par te rendre folle. Petite enfant curieuse, comme Alice, tu te laisses finalement entraîné dans le terrier merveilleux aux mille et une surprises. Tes doigts glissent tout seul sur les touches du grand instrument. A présent il n'y a plus que toi et lui. Toi petite fille apeurée mais fascinée, et lui, ce monstre impétueux qui ne laisse passer aucune erreur. C'est comme jouer à la roulette russe. Une valse avec la mort. Tes doigts connaissent par cœur la partition, tu les laisses te guider tandis que tu fermes doucement les yeux un huitième de seconde. Tu es concentré mais aussi terrifiée. Et c'est cette sensibilité qui fait de toi le prodige que tu deviens à chaque fois que tes mains s'approchent d'un instrument. Au coin de la salle, tu ne vois même plus ton professeur sourire, fier de tes progrès. Tu ne sens plus l'odeur légèrement sucrée de thé au jasmin dont ton mentor raffole. Tu ne sens plus la fraîcheur de la pièce qui t'entoure ni les couleurs de la pièce dans laquelle tu es. C'est toi, et lui. Le piano, et tes mains. Ta sensibilité artistique et le monde des merveilles que tu créés. Tu ne vois pas non plus ton mentor sourire en te regardant choisir ta propre vois, tel un Chat du Cheshire...

Shi Na possède une vraie sensibilité artistique qui fait qu'elle possède une sorte de don avec un piano. Cependant elle se débrouille aussi parfaitement avec un violon, son instrument préféré lorsqu'elle se sent mélancolique. Le dernier instrument auquel elle accorde beaucoup d'intérêt est la guitare. Son frère lui en a d'ailleurs acheté une, certes un peu usée mais parfaite selon elle. Elle adorerait pouvoir jouer un morceau à son frère spécialement pour lui, un morceau écrit et composé par elle. Cependant elle ne cesse de revoir la mélodie ou les paroles, rien n'est assez parfait pour son grand frère. Aussi sa sensibilité devient un atout non négligeable faisant d'elle une gamine au sens artistique plus développé que la moyenne pour son âge. Elle se passionne aussi pour la photographie, cependant elle ne peut assouvir sa passion qu'avec un vieil appareil ce qui, dans le monde dans lequel nous vivons, n'est pas assez pour percer. Cependant elle rêve de devenir photographe professionnelle pour le Velvet Dust, et elle le deviendra.

Un rire s'échappe de ta gorge, un rire pur et clair, comme une douce musique aux oreilles. Ton visage se tend, tes pommettes se remontent, ta fossette se creuse tandis que tes lèvres laissent entrevoir tes dents blanches. Tu ris à gorge déployée en voyant ton frère chahuter avec les jumeaux Sun. C'est encore un de ces repas organisé par les deux familles auquel personne ne peut échapper. Tandis que les deux mères prolifèrent commérage sur commérage tu laisses ton esprit vagabondé sur ce qui t'entoure. Tu serres ton appareil photo dans ta main tout en regardant de loin les trois garçons discutés et rirent entre eux. Ton sourire s'étend sur ton visage, tu aimes ses rares moments où tu peux voir ton frère heureux. Parce qu'il l'est en ce moment même. Amusée, tu portes l'appareil à hauteur de tes yeux et déclenche la capture de photo. Tu regardes le résultat. Tu es satisfaite. Sur la photo on voit ton frère et ses deux meilleures amis sourire, détendus, heureux. Ton regard s'attarde cependant sur Hyo Dae quelques secondes. Quelques secondes de trop. Sans te rendre compte de ce que tu fais, tu portes de nouveau l'appareil à tes yeux et capture une photo de plus. Les mains légèrement tremblantes tu baisses l'appareil photo pour voir le cliché qui s'affiche sur l'écran. Hyo Dae. Grand, le sourire aux lèvres, heureux, beau. Ton cœur palpite un peu, un sourire apparaît sur tes lèvres tandis que tu détailles la photo. Elle est belle. Tes doigts fins s'approchent de l'écran. Tu hésites à toucher son visage du bout des doigts. Tu secoues la tête et dans une brusque prise de conscience tu appuies sur le bouton qui effacera ce cliché à jamais. Tu l'as fait. Tu as supprimé la photo. Ton regard remonte jusqu'à l'endroit où se trouvait les garçons et pendant deux secondes ton regard croise celui de Hyo Dae. Confuse tu détournes le regard violemment et te lève rapidement et esquisse un demi-tour mettant le plus de distance entre toi et lui... Tu sais pertinemment que tu ne représentes rien pour lui, et que tu ne connais rien de lui. Tu sais que l'image de prince charmant que tu as de lui n'est qu'une grotesque illusion. Pourtant son visage ne quitte pas ta tête… Et tu te déteste pour ça.