BOOK (profil de l'artiste)

   
   
   

   BATTLE ROYAL Ҩ L’emballage de la sucette était trop difficile à arracher, surtout dans ses mains enfantines, trop impatient qu’il était de fourrer sa sucrerie dans son gosier. Assis sur une table, les pieds se balançant dans l’air pour s’occuper, Jun Ae poussa un soupir las et jeta sa sucette au loin, agacé. Sourcils froncés, il dévisagea la pièce dans laquelle sa mère l’avait installé le temps de son travail. On était à la fin des années 90, sa mère venait de percer en tant qu’écrivain – et même si Jun n’était pas en âge de comprendre ses écrits, il avait compris ce que « pour adultes » voulait dire. En somme, il s’en fichait du travail de sa mère, ce qui comptait c’était leur nouveau statut de riches. Pour le moment, elle n’avait pas encore pris le temps d’acheter une maison plus grande et sophistiquée, ils habitaient encore dans leur petit studio ridicule et sans chauffage. Elle n’avait pas non plus engagé une nounou pour le garder après la maternelle, d’où sa présence dans… Mais où il était, en fait ? Il glissa de la table, de plus en plus curieux. Mais la porte était verrouillée… pas pour lui, en tout cas. Il avait souvent été gardé par leur voisin, un ancien taulard qui lui avait appris quelques techniques pour s’introduire dans les maisons, notamment la célèbre technique de la carte de crédit. Il chercha dans la pièce quelque chose de ressemblant et en trouvant une carte pour l’essence, il tenta d’ouvrir la porte. Le morveux d’à peine cinq ans venait de réussir son plus grand exploit à cet âge. Mais son enthousiasme retomba d’un coup, lorsqu’il ouvrit la porte pour tomber sur des hommes et femmes habillés très légèrement. On le salua au passage mais Jun Ae était trop choqué pour répondre, son regard ne cessait de passer d’un visage à l’autre, juste pour trouver sa mère. En faisant quelques pas, il atteint une pièce qui devait être le salon mais la luminosité était trop forte et faisait mal à ses yeux, il fut obligé de cacher à moitié sa vue. Des machines qui ressemblaient à des caméras, de nouvelles personnes, des éclats de rire, un buffet rempli de bouteilles… et sa mère, au milieu de la pièce, près d’un homme chauve. Il remarqua qu’elle était plus habillée que les autres, dans son esprit enfantin c’était une bonne chose. Il s’en approcha à petits pas, et lorsqu’on fit signe à sa mère de se retourner, celle-ci lui fit un sourire éblouissant. « Oh, mon petit prince, elle le prit dans ses bras et le montra à tous les autres, je vous présente Jun Ae, ma relève. » Il ne savait si c’était une bonne chose mais il était content que sa mère porte des cheveux longs, pour cacher son visage, n’appréciant pas d’être le centre d’attention à cet âge.

  RADIOACTIVE Ҩ En grandissant, Jun devint de plus en plus capricieux, principalement à cause de la richesse dans laquelle sa mère l’avait plongé. Il réclamait des choses de plus en plus farfelues, comme un parc d’attraction dans leur immense jardin mais c’était dans le but de garder sa mère près de lui. Sauf que celle-ci avait extrêmement du mal à refuser, alors pour ne pas être obligée de dire non, elle se plongeait dans son travail et le voyait très peu, en attendant qu’il change d’avis sur ses nouvelles lubies – ça avait marché pour le parc, en tout cas. C’était un cercle vicieux, Jun la voulait près de lui et elle s’éloignait de lui par crainte de le blesser. À force de ne voir son unique parent qu’une fois par semaine, Jun devint également plus mature – les babioles que vomissait son placard ne l’intéressaient guère, c’était dans le but d’avoir l’attention de sa mère. Au même titre que ses crises existentielles à l’école, les professeurs disaient qu’il souffrait sans doute d’un manque, à la maison. Peut-être à cause de son père absent. Sauf qu’ils ne se rendaient pas compte que sa mère non plus, il ne la voyait pas souvent. Tellement qu’il l’apercevait seulement lors des convocations dans le bureau du Principal. Au bout de la septième convocation, sa mère fut obligée d’accepter la proposition du Principal en envoyant son fils consulter un pédopsychiatre – surtout pour lui éviter d’être renvoyé de cette école privée. Les consultations s’enchainèrent, mais Jun Ae restait indéniablement muet ; pour les psychiatres, son silence était éloquent, disaient-ils. En le bourrant de médicaments, l’un d’eux proposa à sa mère d’inscrire son fils dans plusieurs clubs, histoire de l’occuper et surtout, lui trouver une vocation quelconque. Jun était un enfant se désintéressant de tout à une vitesse phénoménale, qui n’avait aucun rêve d’enfant, aucun avenir. Avec un profond dégoût pour l’humanité également, vu les termes qu’il utilisait pour qualifier sa mère, son géniteur, les autres marmots de l’école qui se moquaient de lui, les professeurs trop stupides qui préféraient boire leur café sans faire attention à leurs élèves... En somme, Jun était un gosse plutôt perturbé. Et aucune activité physique ou artistique où il avait été inscrit ne l’avait intéressé. Enfin… il s’était bien gardé de le dire à sa mère, surtout. Déjà jeune, il s’était découvert une passion pour la musique, principalement pour le piano, dont il ne loupait aucun cours jusqu’à être qualifié de virtuose par son professeur.

SCATTER YOU IN ART FORMS Ҩ C’est à l’adolescence qu’il réussit à délier la langue de sa mère, concernant l’identité de son géniteur. Ils s’étaient violemment pris le bec, Jun l’avait agressée en plein couloir de son école après une énième convocation chez le dirlo, jusqu’à la faire craquer complètement. En rentrant à la maison, elle lui montra une boîte où elle avait gardé des informations sur son père. Parce qu’elle était réellement amoureuse de lui, qu’elle disait. Sauf que Jun ne le comprenait pas, et trouvait ça totalement stupide d’être amoureux de quelqu’un qui n’en a rien à vous de vous. En somme, il avait une vision particulière de l’amour : c’est profondément narcissique, tu donnes quelque chose que tu n’as pas à quelqu’un qui n’en veut pas. Mais Jun apprécia le geste et garda la boîte à souvenirs et commença les recherches dans son coin. Il voulait une reconnaissance. Une putain de reconnaissance. Il ne voulait pas d’un père dans sa vie, mais d’être reconnu comme le fils de quelqu’un et non plus comme le fils de personne. En quelques semaines, il planifia son transfert et le face à face avec son père ; sa mère n’avait même plus assez d’arguments pour le retenir. Rapidement, il rencontra la personne qu’il cherchait dans cette nouvelle école : sa sœur. Étrangement, il l’avait d’abord jalousée parce qu’elle avait un père. Mais ce sentiment fut vite remplacé par autre chose… de l’intérêt sans doute ? Ça l’avait perturbé, ça aussi. Il n’était pas le genre à s’attacher aux personnes, surtout qu’il possédait un don incroyable de les virer de sa vie. Donc s’attacher à elle aussi rapidement… c’était grisant. Devenus jumeaux, anarchistes et musicalement foutrement complémentaires, Jun n’arrivait à trouver la force de la dégager de sa vie ou même, de lui avouer leur lien de sang. Et puis, au même moment, il avait réussi à obtenir ce qu’il cherchait : la reconnaissance de Mr Ilang. Ce qui l’a vite refroidi puisqu’il a compris qu’à ses yeux, il n’est qu’une chose insignifiante. Un de plus, un de moins, il n’en voit même pas la différence. Sauf que Jun ne se laissa pas abattre par le je-m’en-foutisme de son géniteur, au contraire, il ne s’était pas attendu à autre chose. Il lui avait surtout demandé une faveur : ne pas révéler leur lien à Sansa et aux autres. Car elle… il ne voulait surtout pas s’en séparer. Leur symbiose les poussa à se produire dans des salles de concert, tâtant le terrain pour voir s’ils étaient faits pour ça et surtout prêts. Avec l’aide des internautes, leurs vidéos devinrent rapidement populaires et ce petit succès les propulsa sur le devant de la scène lorsqu’ils signèrent avec une agence. Et Devil May Cry naquit de cette façon.