24 décembre 1988, chez les Sun...
Les joies d'un maigre repas de noël passées, l'euphorie du réveillon toujours présente au coeur de leurs ventres, tu vois tes deux petits frères monter à leur chambre à reculons, eux qui ne veulent pas rater la venue du père noël et le voir mettre les cadeaux au pied du sapin. Tu souris, d'un sourire malhonnête cependant. Toi tu ne crois bien sûr plus au père noël du haut de tes dix ans, tu n'es dès lors pas aussi candide que tes cadets et leur naïveté t'amuse. Dans ta tête se met en place un plan machiavélique, tu ris intérieurement à l'idée qui vient de te traverser l'esprit. Assise sur le bras du canapé miteux qui trône lamentablement dans le coin de votre salon-cuisine, tes yeux prennes un air malicieux, pétillant, alors que tu reportes ton regard rusé sur le sapin de noël décoré d'une guirlande qui clignote parsemée de quelques néons qui ont rendu l'âme, tu observes aussi le sourire enjoué de tes parents -enfin surtout de ton père parce que ta mère elle a plutôt l'air emmerdée par les fêtes de noël qui lui font faire beaucoup de vaisselle- alors qu'ils sont en train de vous pousser à dormir pour pouvoir ensuite placer le peu de cadeaux qu'ils vous avaient acheté sous le sapin -genre chez vous c'était deux cadeaux chacun maximum si dieu le voulait bien. Et alors que ta mère rouspète avec sa casserole à la main en tapant dessus comme si elle parquait des brebis et t'incites à montrer l'exemple à tes frères en allant toi aussi regagner ton lit, tu redescends de ton perchoir sans mot dit, pour ensuite faire passer les twins devant toi et les pousser dans l'escalier avec un râle et une tape dernière leurs têtes, comme la bonne petite fille de ses parents, la grande soeur presque modèle, la gosse qui en a marre d'entendre le bordel du rez-de-chaussée et qui préfère se résigner.

La lune qui éclaire ton visage de poupée, tu ne dors toujours pas à minuit passé, les yeux fixés au plafond, dérangée par les bruits des alcoolos du bar voisin mais aussi par tes plans sardoniques qui mûrissent dans ta boîte crânienne infernale. Tu t'extirpes de tes couettes agilement, et avances à pas de loups pour ne pas faire craquer le vieux plancher sous ton poids afin d'aller coller ton oreille contre la porte de ta chambre. Tu perçois faiblement le crépitement du papier cadeau, les courtes engueulades étouffées de tes parents avec ta mère qui dit à ton père qu'il sait pas emballer les paquets, qu'il est bon à rien blablabla... Tu pousses un soupir alors qu'un sourire fin commence à se dessiner sur tes lèvres. Et tu ouvres délicatement ta porte sans un bruit pour te diriger ensuite plus rapidement qu'un chat vers la chambre de tes frangins. Tu y entres sans frapper et leur secoues les épaules à l'un puis à l'autre avec empressement, les grondant lorsqu'ils râlent trop fort. "Venez voir le Père Noël !"  Et debout au centre de la pièce minuscule, tu mets ton doigt délicat sur tes lèvres pour leur ordonner à tout les deux de faire silence alors qu'ils t'observent avec des yeux ronds comme des billes, surpris par un tel raffut au beau milieu de la nuit. Les observant à tour de rôle, sourcil arqué malicieusement, tu te contentes de leur faire un signe de main pour les inviter à te suivre dans le couloir. Vous rampez presque, longeant les murs du couloir, les jumeaux étant toutefois moins soucieux que toi, vous évitez cependant de vous faire remarquer. Tu t'engages dans les escaliers, tapie derrière les barreaux dans la pénombre, accroupie sur les marches tu désignes alors la scène du crime du menton à ces deux têtes endormies qui tombent sous le choc. Voilà vos parents qui déposent les cadeaux au pied du sapin. Le voilà leur Père Noël. Tu es fière de toi oui et tu guettes la réaction de tes deux petits frères. T'es horrible comme soeur putain. Tu viens de ruiner leur rêve enfantin en une simple poignée de secondes. Et tu te dis qu'au moins cela aura le mérite de les rendre moins naïfs par la suite. Un bien pour un mal, n'est-ce pas ? Tu vois leurs têtes dépitées, ces yeux qui ne veulent pas y croire, qui demandent des explications. Et tu gardes une petite moue, un air indifférent, résigné. Tes frères ont sept ans, ils retiennent leurs larmes, Min Ki s'apprête à ouvrir sa bouche pour protester contre cette abomination, mais tu lui colles ta main sur les lèvres pour le contraindre au silence, terrifiée à l'idée que vos parents se rendent compte de votre présence et que ton cirque soit dévoilé. Oui, parce qu'aux yeux de tous, t'es ce petit ange venu du ciel. La seule gamine du quartier potable et souriante, qui aura peut-être un avenir. Alors qu'au fond t'es loin de tout ça, t'es un bourreau pour tes frères qui sont les victimes de l'histoire à toujours leur faire des farces plus horribles les unes que les autres. Tu les traumatises comme ce soir, uses de ton autorité d'aînée pour servir tes intérêts et tu dégaines ton sourire angélique devant la populace pour cacher tes méfaits. Une enfant monstrueuse... Merry Christmas les twins !

mai 2005, près d'un hangar désaffecté...
Une brise fraîche vient caresser ta nuque, alors que tu as la tête penchée en avant sur un objet luisant que tu fais glisser entre tes longs doigts, le dos appuyé contre un vieux van qui fait partie du décor de ce hangar délabré. Tu as les yeux rivés sur la flamme de ce zippo, tes cheveux noirs formant un rideau devant ton visage impassible. Tu n'écoutes que d'une oreille disstraite ce que les autres gars disent plus loin dans leur "cercle masculin", tu observes cet objet argenté que tu as dérobé sournoisement, vicieusement, à un vieil homme riche dans la foule de passants, dans l'agitation de l'aéroport. Tu ne ressens dorénavant plus aucun scrupules à voler les plus riches ou les moins riches. De toute façon ces gens n'ont jamais eu aucune attention pour votre misère à vous les pauvres gens de Séoul, ville à l'apparence dorée. Tu joues les Arsène Lupin depuis presque un an. Ouais un an que t'es devenue vraiment froide, différente, moins proches de tes frères. T'es quelqu'un de flippant à leurs yeux dorénavant. Déjà qu'ils t'ont toujours vu comme le monstre de la famille, mais depuis que t'enchaînes les trucs louches et illégaux ta réputation est bien ternie. Et le pire c'est que tu t'en fiches. Tu ne t'intéresses plus aux gens, il n'y a que ton espèce de groupe qui t'importe, tu restes avec cette vermine toute la sainte journée. Tu t'es fais la plus fidèle alliée de Kwang Sun, t'es tellement aveuglée par ce type que tu vois pas qu'il te nuis. Tu le suis bêtement, docilement mais da fuck ?! pourquoi tu te fais si soumise ? toi qui est un bourreau pour tes deux frères, une gangsta, qui répond même aux autres mecs de votre gang avec ton air revêche, pourquoi lui tu bois ses paroles comme le Messie ? Il te fait du vodoo, c'est la seule solution logique. Ou alors avec le temps tu es devenue accro aux conneries et aux connards qui vont avec. En parlant du loup... Tu aperçois du coin de l'oeil Kwang Sun se détacher des autres et venir te voir. Tu souffles sur la flamme du zippo qui s'éteint et le referme dès lors qu'il te fait face. Tu regardes dans la direction des autres restés à l'écart, machinalement, toujours avec cet air détaché. "Tiens voilà ta part" Tu reportes ton attention sur la liasse de billets que Kwang te tend. C'est peu par rapport à ce que les autres ont eu, par rapport à la totalité du butin, par rapport à ton activité toi qui fait toujours une belle part du sale boulot et fais souvent les plus belles prises grâce à ta ruse et ton joli minois. D'ailleurs tu te remémore la façon dont t'as eu ce zippo. Tu t'étais fait interpellée par le vieux, te trouvant peut-être gentille et mignonne, t'en avais profité en voyant qu'il avait l'air d'un bourge, tu l'avais aidé à porter ses valises, tu l'avais manipulé, il t'avait confié sa veste le temps qu'il demande un renseignement au guichet, il t'avait fallu moins de deux secondes pour faire glisser le zippo de la poche à ta main puis à ton propre sac. Dix secondes pour faire la même opération avec le porte-monnaie qui sortait de sa poche arrière. T'avais disparu sans laisser de trace ensuite, trop tôt pour qu'il se rende compte de quoi que ce soit. T'avais alors regagné ta voiture tranquillement, le souffle court, la tête baissée, avant de refermer tes doigts sur le guidon, restant immobile deux minutes pour reprendre ta respiration. T'avais ensuite regarder combien d'argent se trouvait dans le portefeuille. Jackpot.
Aussi tu pousses un soupir en voyant la maudite somme que Kwang Sun te tend. T'avais gagné bien plus maggle ! Mais au lieu de faire un scandale tu préfères te taire sachant où sont les limites et que tu n'es à leurs yeux pas une princesse ici, on ne supporterait pas que t'ouvres ta gueule bien longtemps. Alors tu prends sur toi, acceptant cette bête redistribution des biens, tolérant la présence de Kwang qui vient se poser contre la taule de la voiture près de toi, pour t’enfumer de sa drogue puante. Comme disent tes vieux : pourquoi tu fais ça ?

novembre 2006, résidence de Kwang Sun...
Tu finis de vider ton bidon d’essence à bout de souffle répandant le liquide précipitamment avec rage et frénésie sur les murs d'antiques tapisseries, sur les meubles ornés d’objets, sur les tapis, les couvertures du lit, tout ce qui, à ton sens, est facilement inflammable. Tu t’essuies le front d’un revers de la main, serrant de l’autre à travers ton gant en cuir la hanse du bidon vide. Tu prends une minute pour souffler. Pour apaiser le fauve qui rugit en toi et voudrait tout détruire à coup de hache. Observant les lieux luisant sous l’essence, puant cette essence, tu sors avec précaution ton zippo de ta poche, tu l’actionnes et immobile, sachant que tu as le temps, sans te presser le moins du monde, tu gardes les yeux rivés sur la flamme de l’objet. Tu enlèves un gant, coinçant le bidon entre tes jambes. Tu passes ta main libre et nue au-dessus de la flamme qui frémit sensiblement.  Tu approches deux doigts au-dessus du monstre dont tu ressens l’intense chaleur comme si tu tentes d’apprivoiser un animal sauvage. Puis, sur un coup de tête, tu t’éloignes avec le bidon et lances sur le lit, triomphante, le zippo qui s’enflamme instantanément au contact de l’essence. Tu te réfugies alors dans l’aile de la maison que tu n’as pas rebaptisée de gazole, où l’odeur entêtante de l’essence ne s’est pas propagée. Te voilà qui observe les flammes crépiter sous tes yeux, comme hypnotisée par leur incandescence, ce mélange de couleurs fauves et leur taille qui prend de l’ampleur, s’étendant dans ta direction sans que tu te sentes menacée. Tu prends un plaisir presque malsain au fond de toi à voir les murs léchés par les flammes et se noircir. Tu as obtenu ta vengeance. Kwang Sun a payé. Tu t’en sens plus forte, comme invincible. Oui tu as mis le feu à sa chambre directement chez lui, comme il avait mis le feu à ta maison en exposant ta famille innocente au danger. A présent, la rage folle que tu conserves au fond de toi, ces pulsions pyromane cachées, sous  un air impassible, figé, sur ton visage de poupée, viennent de s'assouvir, de même que ta haine et toute cette rancune entretenue depuis quelques semaines. Personne ne touche à ta famille. Voilà un avertissement. Un acte irraisonné, impulsif et pourtant prémédité, digne de la crapule que tu es devenue, de ce que Kwang Sun lui-même a façonné. Et c’est cette quiétude peinte sur ton visage froid, vide d’expression, alors que tu es au plus près d’un brasier qui te rend certainement si inquiétante, intimidante, à ce moment-là. Tu ne sembles avoir aucun regret, ne sourcillant pas alors que les flammes se rapprochent dangereusement. D'ailleurs, tu optes simplement pour changer de place, emportant à ta suite le bidon à l’extérieur de l’édifice en feu pour au final t’installer sur ce bidon d’essence, face à la maison crachant des flammes par les fenêtres ; tu observes tranquillement ton chef d’œuvre. Sans marque de satisfaction perceptible, avec la plus profonde indifférence. Tu sais cependant que les pompiers ou même la police vont arriver d’une minute à l’autre, mais tu ne comptes pas t’enfuir. Tu ne fuis jamais, tu n’es pas lâche toi. Tu veux par la même occasion que Kwang Sun sache qu’il doit se désastre à ta personne et tu te sais mériter une sanction, pour cet incendie mais aussi pour tout ce que tu as fait d’hors-la-loi sous l’attraction de Kwang Sun. Tu comptes ainsi laver tes pêchés en quelque sorte en te vendant à la police.

Au loin, tu perçois les sirènes qui se détachent du calme crépitement du feu, brisant l’intimité d’une pyromane avec ses flammes ardentes. Tu les sens approcher rapidement, à plusieurs voitures. Tu hésites pourtant à la dernière minute à partir. L’énervement retombé, tu sembles vouloir quitter les lieux du crime, mais tu décides trop tard. Les flics sont dans ton dos, impossible de les semer ni de nier puisque tu pues l’essence et te trouve avec le bidon vide. Pas de présomption d’innocence. Tu finis cette douce nuit les menottes au poignet, dans la voiture de police, jugée du regard comme une cinglée pyromane. Tu ne bronches pas. Tu ne veux cependant pas qu’ils contactent ta famille, que tes parents et tes frères te voient dans cet état. Tu assumeras seule. Sept mois de réclusion criminelle à dix-huit ans tout au plus. C’est long. Ça aura au moins eu le mérite de te remettre les idées en place.

septembre 2013, lieu inconnu...
Un oeil s'ouvre, puis le deuxième, tu te frottes le crâne sans savoir pourquoi tu ressens une vive douleur. Tu fronces les sourcils, te crispe sous les vibrations qui emplissent ta tête mais tu demeures muette, frigide, assise sur un sol humide en terre battue que tu ne reconnais pas. Rien ici ne t'es familier et tu te demandes si tout cela est réel ou si tu es encore dans un de tes rêves, dans un de ces mauvais flashback qui te rappelle tes six mois enfermée dans une prison à pourrir et ça te tire un frisson. Mais inconsciemment tu sais que tu es bel et bien éveillée. Tu es piégée. Les murs de pierre autour de toi et cette odeur de moisi sont bien la preuve que tu es enfermée dans une sorte de cachot, un truc exigu, pourriture où tu te sens un lion en cage, plus énervée qu'apeurée bizarrement. En revanche, pourquoi es-tu là ? Ca c'est une autre question. Mais si c'est un coup des jumeaux, ils vont te le payer. Cependant c'est trop glauque pour être l'oeuvre des jumeaux...

A part la douleur ressentie au niveau de ta tête tu ne fais attention à rien. Dans la pénombre tu vois pourtant se dessiner des visages plus ou moins proches de toi. Tu perds un peu de ton mordant, peu rassurée à la vue de ces filles décharnées qui t'entourent. Elles ont un regard vague, de vrais légumes et tu te demandes ce que tu fais au milieu de ce troupeau de brebis qui ont l'air de se rendre à l'abattoir. Reprenant peu à peu tes esprits, tu ressens une morsure à tes poignets alors que tes liens ont cependant disparu. Le bruit sourd d'une musique d'ambiance te donne la vague sensation d'être dans un casino ou du moins à proximité d'une salle de jeux, tu penses reconnaître la musique d'une mission que tu avais fait il y a deux semaines dans un casino clandestin de la capitale, mais tu n'en es pas vraiment sûre. Tu sens l'odeur nauséabonde du cannabis, ce goût âpre et insistant est comme en suspension dans l'air et tu sens cette saveur fétide sur ta langue. Alors que tes yeux commencent peu à peu à s'habituer à l'obscurité tu décides de te lever mais dommage pour toi cet effort te voudra un terrible raisonnement dans le crâne, comme pour te signaler que tu es allée trop vite en besogne et que ton corps malgré toi est encore lourd. Soulevant la poussière du sol à chaque pas, tu te diriges ainsi en boitant vers la porte en fer de ta cage. Tu t'appuies sur les barreaux, passant le bout du nez à l'extérieur et tu guettes ainsi la venue de quelqu'un. Tu sais que d'une minute à l'autre tu vas avoir la visite d'un homme. Depuis plusieurs minutes tu l'entends faire les cents pas, aller de gauche à droite et de droite à gauche comme une poupée mécanique, tu perçois son pas lourd qui résonne sur le sol. Mais alors que tu l'aperçois venir dans ta direction, tu te demandes finalement si c'était une si bonne idée de vouloir lui parler. Quelque chose chez lui te rebute. Peut-être l'odeur atroce d'alcool qui le suit comme un voile pestilentiel, peut-être sa démarche étrange qui te ferait penser à celle d'un pirate avec une jambe de bois ou plutôt... cette tête de mafieux et l'arme que tu vois luire accrochée à sa ceinture. Quoi qu'il en soit tu restes les bras enlacés autour des barreaux, la tête à l'intérieur reculant tout de même sensiblement mais sans vraiment te raviser. Tu sers les mâchoires et le suit des yeux avec précaution lorsqu'il passe devant toi et fait comme s'il ne t'avait pas vue. Dans un élan de folie certainement, tu prends la parole et le tutoie nonchalamment pour être sûr qu'il se reconnaisse. Tu sais que ce que tu viens de faire est de loin la plus stupide de tes idées parce que tu sens que cet homme est dangereux mais tu as certainement vue pire en prison, t'as bien foutu le feu à une maison aussi, alors tu attends juste de croiser son regard lorsqu'il se retournera, refusant catégoriquement d'être une fois de plus enfermée comme en taule. Cependant, tu n'as pas le temps de le voir se déplacer qu'il arrive en face de toi, sa main passée à travers les barreaux t’agrippant le bras fermement. Sous l'effet de surprise tu lâches les barreaux et te recule en arrière dans ta cellule qui finalement ne te semble plus si austère et froide vue ce qu'il se passe à l'extérieur. Mais, alors que d'autres seraient sûrement en train de trembler de tous leurs membres, tu tentes de rassembler tout ton sang froid, de reprendre un rythme respiratoire régulier sans faire un seul geste brusque pour ne pas lui donner envie de te tirer une balle car dieu sait ce dont ce type pourrait être capable. Le regard planté dans celui du gardien sans sourciller, vous vous jugez et ce sont ses paroles qui rompent la tension "Calme-toi ma jolie sinon je serais obligé de t'attacher pour que tu sois un peu moins vigoureuse." Ces mots-là résonnant dans ta tête, tu retiens une grimace sur le "ma jolie" qu'il s'est permis de prononcer. Et alors que tu dégages ton bras farouchement de ses sales mains, il finit par braquer son flingue sur ton front, te menaçant  d'un rire lugubre. "Va t'asseoir avec les autres, traînée, où je repeins la pièce de ta cervelle" Tu restes immobiles l'espace de quelques secondes, la main dans ta poche effleurant ton zippo qu'ils ne t'avaient pas confisqué, hésitant à le faire flamber comme une poupée de chiffon, mais ta raison l'emportant tu commences à reculer à mesure qu'il baisse son arme vers le sol. Téméraire et farouche mais pas au point de finir tes jours la tête trouée dans un taudis. Tu coopères même si ça te laisses un goût amer dans la bouche.

Tout redevient alors calme. Tu perçois de nouveaux le bruit de la musique qui tourne en boucle, les gouttes d'eau issues de la fuite du plafond qui tombent par terre et rythment les secondes et tu te laisses glisser contre le mur en béton entourée de filles qui sont dans la même condition que toi, en position fœtal, rugissant intérieurement, les mains tremblantes toutefois, à essayer de comprendre comment t'as fini là, dans ce repère de proxénètes. Et puis tu penses à ta famille dans ce moment de crise intérieure, à ton boulot, à la vie à peu près stable que t'as retrouvée qui est en train de partir en fumée. Tu n'es pas une pute, te ne le seras pas. Première fois depuis la prison que la gangsta en toi a vraiment peur pour sa peau.

Tu avais été libérée en moins d’une semaine. Te semble-t-il. Tu avais perdu la notion du temps. Tes deux frères t’entourant soudainement, déposée à l’arrière de la voiture, arrivée chez vous, embrassée tant qu’et plus par vos parents, le visage toujours inexpressif, te demandant si tu avais rêvé ces derniers jours, si tu y étais toujours. C’est le face à face avec tes deux frères qui t’avait sortie de ta sombre torpeur. Le nom de Jae Mee évoqué à la légère, la sinistre histoire dans laquelle les jumeaux s’étaient mis et t’avais impliquée. L’échange de filles comme une marchandise. Un seul mot était sorti de ta bouche déformée par l’énervement. « Dégagez. » Et ensuite tu t’étais mise à hurler, tu les avais virés de ta chambre avec fracas, menacés de retrouver ta meilleure amie au plus vite. Et voilà trois mois que les liens familiaux étaient bouleversés. Plus un échange de parole. Une colère omniprésente, un sentiment d’amertume d’avoir entraînée ta meilleure amie dans une telle déchéance. Depuis, tu agissais pour ton compte pendant tes filatures ou dans ton bureau, utilisant sans autorisation parfois le réseau du bureau de détective pour rechercher des informations qui pourraient t’indiquer où se trouve Jae Mee. Tu ne désespérais pas. Parfois. Vous alliez la retrouver, tu étais suffisamment entêtée pour le penser jusqu’à la fin de tes jours.